fragmentaire

FRAGMENT 1. Chondrite

- Il va falloir remettre en perspective quelques petites choses que tu pensais savoir. Ton corps est creux et le reste de l’univers y est contenu. Il suffit juste de rêver que nous ne sommes plus la plus petite des particules de l’univers, mais la plus grande, contenant toute chose.
- C’est absurde.
- Non, il faut changer de point de vue.
- Plus je rentre profondément en moi, plus les distances sont grandes?
- En quelque sorte. Ton centre est à l’infini. La limite de ton corps est l’endroit le plus
lointain de l’univers.

[Itinerarium extaticum s. opificium coeleste, Athanasius Kircher (1656)]

FRAGMENT 5. Volkhovite

Nous sommes dans l’éther si subtil, que l’homme ne peut y vivre, s’il n’est fortifié par un remède céleste. [Pensées, Cosmiel (1656)]

FRAGMENT 6. Campo del cielo

Et la beauté du monde, loin de résider dans une construction nettement délimitée, allait consister précisément à n’avoir pas de limites : l’homme développait une esthétique de l’infini. La désidération appelle une esthétique de l’infini, une esthétique du fini, une esthétique in-finie, im-parfaite.

[Le Cosmos et l’imaginaire, E. Tuzet (1965)]

FRAGMENT 14. Cristallisation

Quel est l’objet de la nostalgie désidérée, de l’irrépressible mélancolie humaine ? Comment ce que nous ressentons obscurément et confusément comme un bien suprême ou l’objet ultime de notre désir, pourrait se manifester comme manque si nous ne l’avions jamais connu auparavant ?

“Désidération” nous invite à plonger dans une recherche cosmique, anthropique et anthropologique qui bouscule nos représentations du fini et de l’infini, l’existence de l’espace et du temps. La quête des désidérés pourrait nous conduire à découvrir un absolu poétique dans une réconciliation ultime. Ils nous convient à renouer avec l’étymologie de notre désir, de notre origine, d’accepter l’infini comme une partie de nous. Cosmiel propose un voyage trans-dimensionnel ; l’absorption de Lune questionne symboliquement le genre des désidérés. Plus troublant, un astronome désidéré ne pourrait se soigner qu’en fusionnant intégralement avec son sujet d’étude : un tel geste abolirait alors toute distinction entre arts et sciences.

La découverte de ces premiers fragments nous engage dans une recherche de terrain afin de recenser les désidérés, les rencontrer et visiter les cratères d’impact qui les attirent. Cette phase doit s’accompagner d’une recherche historique pour localiser dans le temps, l’espace et les cultures le désidéré-0 afin de comprendre la nature et l’origine de la désidération. L’existence de deux patients avérés permet de développer la première recherche scientifiquement documentée du protocole d’implant lunaire, d’en étudier son efficacité et ses effets, tant physiologiques que symboliques.

L’implantation lunaire des désidérés est un geste d’altérité. Une altérité ouvrant sur une redéfinition d’une identité, d’un genre nouveau, qui se cristallise autour de cet absolu cosmique qu’est la poésie. La Lune, domaine du rêve, de la vie nocturne, et de l’inconscient, est aussi celui mystérieux du double. Ce double est un reflet dans le miroir : semblable sans être identique. La Lune révèle notre autre face, une face cachée, oubliée, que l’implant réinjecte en nous.

L’altérité s’incarne rituellement dans l’intrication des implantés. Tout contenant tout, l’absorption de Lune, symbole de l’amour fusionnel, abolit la notion de l’autre. L’altérité devient identité.

FRAGMENT 2. Orgueil

Le cyborg n’a pas le souvenir du cosmos.
Le cosmorg est le souvenir du cosmos.

[Analyse du “Manifeste Cyborg” de Donna Haraway (1984), Cosmiel (1656)]

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FRAGMENT 4. Craterisis

Notes / Meteor crater, Winslow, Arizona, 23 mars 2017.

Cicatrice de calcaire et de grès perforant une géologie aride, vestige d’une collision équivalente à à 2,5 mégatonnes de TNT ou à celle d'une explosion thermonucléaire environ 150 fois plus puissante que celle de la bombe d'Hiroshima / Ombilic se dévoilant sous la forme d’une dépression ; Platon ne décrivait-il guère le nôtre comme la trace du châtiment divin infligé aux hermaphrodites originels, une mutilation nous séparant d’une part de nous mêmes ? / Folle attraction écosexuelle pour cette terre tourmentée, appelant une fusion de nos deux êtres et guérissant nos âmes désidérées.

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FRAGMENT 7. KT

Le désastre est d’abord un défi à notre représentation du temps dans la mesure où il est à la fois ce qui a déjà eu lieu et, en même temps, ce qui est le plus proche. Ainsi, il n’y a ni espace, ni temps précis qui puissent accueillir le désastre. Mais le présent est le temps de la revenance du désastre, ce moment où le temps lui-même peut faire retour, mais comme pulvérisé par le désastre. Ainsi, l’apocalypse « a toujours déjà » eu lieu bien que toujours à venir.

[Critique, Anonyme (2016)]


FRAGMENT 9. //

Et la beauté du monde, loin de résider dans une construction nettement délimitée, devait consister précisément à n’avoir pas de limites: les désidérés développaient une esthétique de l’infini.

[Le Cosmos et la sidération, Cosmiel (1966)]


FRAGMENT 12. Rochechouart

Le fond d’une fosse avec quelques étincelles au plafond… l’épaississement ténébreux va croissant… de la fumée pétrifiée en forme de sphère.

[Préface philosophique des Misérables, Victor Hugo] 


FRAGMENT 8. Verre lybique

L’Ame de l’homme fut fait pour parcourir les cieux.
Délicieuse délivrance de sa prison d’ici bas!
Là-haut, débarassée de ces chaines - le liens
Des vanités terrestres, - elle peut errer au large
Là, respirer en liberté, se dilater, s’étendre,
Dans leurs pleines proportions donne champ à tous ses pouvoirs.
Et ce n’est pas étrangère qu’elle y marche,
Mais, merveille elle-même, elle s’égare parmi des merveilles

[Night IX.255, Edward Young]

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FRAGMENT 3. Allende

Astroblème.\as.tʁɔ.blɛm. [GEOL.]  Ensemble des traces laissées par l’impact d’une météorite ou d’un astéroïde. [HIST.] La communauté de Rochechouart (Haute-Vienne, France) est la première localité désidérée attestée et datée de approx. IX-X siècle, comme l’illustrent les noms de Rocacoart (1027), Rocam cavardi (1049). En 1967, il est prouvé que cette ville est située dans un cratère de 21 km de diamètre créé par une météorite de 1.5 km de diamètre tombée il y a 200 millions d’années. 

Cosmiel. Premier cosmorg et chercheur sur les techniques d’implant lunaire.

Cratère. \kra.ˈtɛ.re\  n.m. [ETHYM.] Du grec ancien κρατήρ, kratêr dérivé de κεράννυμι keránummi « mélanger ». Vase dans lequel on mélangeait le vin avec l'eau avant de remplir les coupes. [GEOL.] abîme, gouffre, abysse. [MYTH.] Lieu d'origine des désidérés. .Désir. \de.ziʁ\ n.f. [ETYM.] de la négation du latin sidus ou sideris signifiant astre, constellation, ou étoile, qui a donné desiderare (regretter l’absence de quelqu’un, quelque chose). Dans la langue des marins et des augures, l’absence des astres signifiait déception, regret. [US.] De sidus, on retrouve desidere dont l’étymologie indique que désirer, c’est cesser de contempler l’astre, se détourner de lui, l’oublier, interrompre la fascination qu’il exerçait sur nous. De sidéris, on retrouve desiderium qui signifie à la fois « regret » et « désir », impliquant que ce l’on désire est perdu, manquant. L’étymologie traduit alors desideratio, desiderium ou desiterata comme la nostalgie d’une étoile, le regret d’un astre perdu, le manque douloureux d’un objet céleste ayant disparu.

Désidération. \de.si.de.ʁa.sjɔ̃\ n.f. La désidération est avant tout une maladie, une solitude cosmique, souvent mal interprétée par les psychologues. [ETYM.] De désir, sidération (voir entrées). [MED.] Le seul traitement connu à la sidération est un implant lunaire. [SOCIOL.] Cet implant est prend le sens d’une réconciliation entre l’anthropos et le cosmos, quête de tout désidéré,  devant mener à une mélancolie positive, un souvenir paisible de cet état de manque et de solitude. [PSY]. Syndrome du jumeau perdu ; nostalgie inconsolable que seule l’aspiration de l’Homme à rejoindre le cosmos pourrait combler. L’humanité aurait erré en pensant que ses objets de désirs se trouvaient ici-bas : c’est là-bas qu’ils résident. Aux cieux. [CINE.] Le film “In Somnis (Cosmic Junkies)” tente une description d’une épidémie de désidération.

Désidéré. \de.si.de.ʁe\ nf. Ne sait pas se définir mais sait se reconnaître. [SOCIO.] Les désidéres sont indécelables parmi les humains d’un point de vue biologique. Ils sont à la recherche de leur infini perdu, d’une immensité spatiale dont ils cherchent à se remplir, en contemplation permanente des étoiles, qu’ils rêvent d’absorber pour se réaliser et se stabiliser dans le monde terrien. Ainsi, ce n’est qu’en s’hybridant avec l’espace, en injectant en eux un peu de l’infini qui les compose et dont le manque les ronge, qu’ils pourraient atteindre la sérénité. [ANTHROP.] Les désidérés se définissent eux-mêmes comme une humanité désidérante, désidérée, souffrant de l’absence de sidération, c’est-à-dire de lien organique avec les étoiles.  [MYTH.]  Dans la mythologie désidérée, les gènes seraient directement issus des briques élémentaires de vies apportées par des météorites sur notre planète. Cette hypothèse repose sur la théorie contestée de la panspermie. Ils se sentent plus proches que les autres de leur origine stellaire, qui se manifeste par le vif sentiment d’être orphelin, d’être en manque de quelque chose, la manifestation permanente d’une sorte de nostalgie d’un objet vague, indéfinissable.  


Hybridation cosmique. \i.bʁi.da.sjɔ̃ kɔs.mik\ n.f. Acte symbolique permettant à un désidéré d’absorber l’infini et de renouer son lien primordial au cosmos. [PHYSIO.] L’hybridation induit une mutation en un organisme mi-humain, mi-cosmique. [MED.] Afin d’éviter tout rejet de la greffe lunaire, l’hybridation est précédée d’injections sous-cutanées de leur essence primitive : un mélange des premières molécules forgées dans le proto-système solaire, de ces molécules n’ayant  encore jamais transité par aucun corps humain. [ASTRON.] La plupart des noyaux atomiques étant formés dans les étoiles, les injections empêchant le rejet de l’implant permettent au corps de retrouver la composition originelle de l’univers. Indirectement, l’implant abolit la distinction vie-mort et organique-minéral. [SOC.] La quête de l’hybridation demande aux désidérés de se comporter en chasseur-cueilleur de météorites pour en extraire le contenu moléculaire de leurs infimes inclusions. [PSYCHO.] Ce n’est que par cet acte que les désidérés pensent pouvoir vivre (survivre) en harmonie sur Terre. [SYMB.] Pour les désidérés, un implant lunaire abolit la limite entre le fini et l’infini et vide de son sens celle entre intérieur et extérieur. Il abolit la notion d’espace. 

Junckérite. \d͡ʒœ̃.ke.ʁit\ n.f. [GEOL.] Synonyme désuet de sidérite. Nom inventé par le minéralogiste Armand Dufrénoy en 1832.

Kircher, Athanasius. (1602-1680) Erudit jésuite et l’un des plus grand scientifique de l’époque baroque. Il considéré comme étant l’auteur premier manifeste désidéré, Itinerarium extaticum s. opificium coeleste (1656). Il prétend avoir été transporté dans un voyage extatique à travers les sphères des planètes, après avoir entendu un concert donné par trois luthistes.

Lune. \lyn\ Unique satellite de la Terre, d’où sa dénomination officielle de Terre I. [ASTRON.] La Lune a de nombreuses influences sur la Terre: marées, stabilisation de l’obliquité de la Terre. [HIST.] Les phases de la Lune ont permis l’invention des premiers calendriers, les éclipses la mesure des tailles relatives du Soleil, de la Lune et de la Terre (Aristarque de Samos). [GEOL.] L’origine de la Lune est controversée. Selon une théorie, elle résulterait d’un impact géant. [POP.] La Lune est notre plus proche ami, la mémoire et la protectrice de la Terre. [MYTH.] La Lune est associée au symbole féminin. [PHILO.] La Lune est la limite entre le monde sublunaire (corruptible) et le cosmos (éternel et incorruptible). [SYMB.] La Lune reflète la chaleur et la lumière du Soleil. Pour les désidérés, l’implant introduit un morceau du miroir cosmique dans son intérieur. Il reflète la chaleur des cendres stellaires composant l’être humain. 

Sidération. \si.de.ʁa.sjɔ̃\ n.f. [MED.] Effondrement subit d’une ou plusieurs fonctions vitales. [ETYM.] Sidérer dérive du latin siderari, subit l’influence (néfaste) des astres. [ANTIQ.] Ensemble des maladies des arbres produites par la mauvaise influence des astres ; action néfaste des météores sur la végétation [ASTROL.] Influence subite attribuée à un astre, sur la vie ou la santé d’une personne [FIG.]  Profond bouleversement psychique ou émotionnel qui paralyse la réflexion et la capacité d'action. 

Sidérose. \si.de.ʁoz\ n.f. [MED.] Infiltration des tissus par des particules de fer ou d’une de ses composés. [ETHYM.] du latin sideritis (« aimant, pierre de fer ») dérivé du grec ancien σίδηρος, sideros (« fer »). [ASTRON.] Aérosidérite, météorite métallique composée de fer et de nickel.